Au fin fond de l’océan vivait une petite sirène, joyeuse et rieuse. Son jeu préféré avec ses amies était de former des cercles de bulles de plus en plus petits et d’essayer de passer à l’intérieur sans toucher une seule bulle, une sorte de limbo aquatique. Pour former les cercles de bulles, une sirène battait le plus vite possible de sa queue, et du tourbillon ainsi formé naissaient les bulles. Un poisson clown était alors réquisitionné pour discipliner les bulles et ainsi former un cercle.
Ce jour là, Xiri et ses amies n’avaient pas trouvé de poisson clown dans les environs et c’est Xiri qui avait été désignée pour former les cercles. Au début elle s’acquitta consciencieusement de sa tâche. Mais au bout d’un moment, comme elle s’ennuyait un peu et était jalouse de voir les autres s’amuser sans elle, elle commença à faire n’importe quoi. Les cercles n’étaient plus très ronds, ou alors étaient vraiment trop petits pour qu’aucune sirène, même la plus agile, puisse espérer y entrer. Face aux reproches des autres, Xiri, pourtant d’habitude très calme, se mit en colère, haussa le ton, et finit par tourner le dos à ses amies et s’enfuit. Elle nagea loin et longtemps, en mettant dans sa nage toute l’énergie de la colère qu’elle ressentait. Elle était tellement concentrée sur cette émotion qu’elle ne vivait pas souvent, qu’elle ne faisait pas attention à la direction qu’elle prenait.
Lorsqu’elle s’arrêta enfin, fatiguée et un peu honteuse d’elle-même, elle s’aperçut qu’elle était proche de l’ancienne cité enfouie. Une légende racontait que cette cité abritait autrefois un monde flamboyant et chatoyant, dans lequel sirènes et tritons vivaient par milliers. Une catastrophe inconnue aurait détruit cette ville et depuis le peuple des sirènes vivait disséminé en petites communautés. Celle de Xiri était composée de quatre famille en tout et elle ne connaissait qu’un autre village qui se trouvait à plusieurs journées de nage. Quel dommage se dit-elle. J’aurais tellement aimé assister à une fête, me promener au milieu d’une foire, avoir encore plus d’amies. Oups mes amies, je dois absolument aller m’excuser.
Elle se préparait à repartir quand un reflet attira son regard. Posé sur le sable un objet brillait d’une lueur nacrée.En s’approchant Xiri découvrit un galet sur lequel était comme incrusté un visage de femme. Et ce visage lui souriait.
Elle fit un saut périlleux arrière et partit à toute allure. Elle devait devenir folle, c’était cela, c’était la seule explication logique. Les galets n’ont jamais eu de visage et encore moins de visages qui vous souriaient.
De retour près de ses amies, après s’être excusée, Xiri fit tout pour oublier cet incident. Tous les jours elle s’efforçait de faire comme d’habitude, et tous les jours venait un moment où le sourire s’imposait à son esprit. Tous les jours elle chassait cette image, et toutes les nuits le visage venait lui sourire dans ses rêves. Xiri crut réellement devenir folle, jusqu’au jour où elle décida d’en parler à ses amies. Elle était persuadée que celles ci l’aideraient à se convaincre que ce n’était que son imagination et l’aideraient à passer à autre chose. Mais ce ne fut pas le cas.
Les trois amies de Xiri voulurent aller immédiatement voir de leurs propres yeux le phénomène. Elle accepta et les conduisit prés de l’ancienne cité. Arrivées à proximité, les quatre sirènes firent une halte et observèrent les lieux. Des monticules de sable parsemaient le sol, certains très haut et d’autres non, certains s’élançaient fin comme des stalagmites, d’autres étaient ramassés comme une grenouille prête à bondir. Et, vers leur droite, elles virent la leur nacrée dont leur avait parlé Xiri. La plus aventureuse d’entre elle nagea jusqu’au galet et revint à toute allure.
« Tu avais raison, tu n’as pas rêvé. A moi aussi le visage a souri. » Les am!es échangèrent des regards à la fois surpris, émerveillés et apeurés. Finalement, en se donnant la main, elles s’approchèrent toutes ensemble et constatèrent que la lueur émanant du galet s’intensifiait. Lorsqu’elles se penchèrent ensemble sur le caillou, le visage leur sourit et une voix leur parvint.
« Enfin, la prophétie va pouvoir se réaliser. Merci d’être venues jusqu’à moi. »
« La prophétie, quelle prophétie ? » balbutia la plus jeune des sirènes.
« Alors que la grande catastrophe était sur le point de se produire, j’ai utilisé toute ma magie pour sauver mon peuple. Je ne pouvais pas empêcher le cataclysme de se produire et notre belle cité d’être détruite, mais j’ai pu transformer chaque personne en grain de sable ou en galet qui survivrait et attendrait le grand retour. »
« La prophétie de nos ancêtres parlait déjà du grand retour qui aurait lieu quand quatre sirènes de la quatrième génération traverseraient les quatre cercles. »
« Regardez » dis la plus jeune en indiquant le sommet de la lueur jaillissant du galet. La lumière irisée s’était séparée en quatre faisceaux qui lentement se transformaient en cerceaux.
« A vous de jouer » dit la voix.
Chacune s’élança alors vers un des cerceaux en se concentrant car ils étaient à peine assez larges pour elles. Au moment où l’extrémité de leurs queues quittèrent chacun des cercles, les cerceaux de lumière fusionnèrent en une explosion d’étincelles. Les amies virent alors chacune de ces étincelles retomber en pluie sur les grains de sable et les galets qui se transformèrent chacun en sirène ou triton. La dernière étincelle à retomber vint toucher le galet au visage souriant qui se transforma à son tour.
« Je suis Caixa, la reine de l’ancienne cité d’Irisatis. Je vous remercie d’avoir permis à la prophétie de s’accomplir et d’ avoir ainsi sauvé mon peuple. »
« Vous êtes les bienvenues ainsi que vos familles dans la nouvelle cité que nous commençons à reconstruire. »
« Quelle récompense aimeriez vous que je vous accorde ? »
Les jeunes filles se consultèrent et répondirent en riant« Une fête »
Et ce fut la plus belle fête que le monde sous-marin eut jamais connu.