La tisserande de plaisir

 

Dans un royaume, niché au creux d’une vallée, vivait une jeune fille au pouvoir extraordinaire. Elle n’était ni particulièrement belle, ni particulièrement intelligente, elle vivait sagement près de sa famille. Sa particularité venait de sa passion pour les livres. Depuis que sa grand-mère lui avait appris à déchiffrer les mots sur son vieux livres de contes, elle s’était prise d’amour pour les histoires et elle profitait de son moindre temps libre pour aller lire à la bibliothèque du château. A son retour, elle partageait les histoires aux enfants du royaume en les racontant avec fougue. Elle pouvait devenir le chevalier pourfendant les dragons du haut de son fidèle destrier ou le renard tapi dans la neige, échafaudant sa prochaine ruse pour se moquer du loup. Les enfants, ravis, en redemandaient, et elle repartait en quête de livres.

Le jour de ses seize ans se produisit un phénomène étrange, elle avait emprunté un ouvrage et le lisait, assise sur un banc du parc royal. Elle était, comme d’habitude, entièrement absorbée par sa lecture, le livre à la lourde reliure de cuir posé sur ses genoux. Elle se sentait comme dans un merveilleux cocon de soie, protégée par ce cocon elle pouvait braver tous les dangers, éprouver toutes sortes d’émotions. Elle sentit soudain sur son mollet un chatouillement, elle tendit la main machinalement pour éloigner ce qu’elle pensait être un insecte et fut surprise de sentir une texture fraiche et souple à la fois. Ebahie, elle interrompit sa lecture et s’aperçut que la couverture du livre n’était plus faite de cuir mais d’une chevelure fournie, d’un blond irisé et qui lui arrivait aux chevilles. Elle poussa un cri et referma le livre brusquement, entrainant la disparition aussi rapide de la splendide chevelure. Le livre était de nouveau relié de cuir.

A partir de ce jour, à chaque fois qu’elle était suffisamment enchantée par une histoire, la couverture de son livre se couvrait de cheveux fins et soyeux. Elle s’aperçut que, plus grand était son plaisir de lire, plus la chevelure était fournie, longue et irisée. Lorsque le livre ne lui plaisait que moyennement, la chevelure était courte et monochrome, lorsqu’elle se laissait complètement enivrer, la chevelure arborait les couleurs de l’arc en ciel et pouvait mesurer plusieurs pieds de long.

Pendant quelques semaines elle se contenta d’observer cet étrange pouvoir et de regretter la disparition d’une si belle chose dès qu’elle refermait le livre. Une nuit, alors qu’elle repensait aux splendides reflets obtenus avec son livre préféré, elle se dit qu’elle pourrait peut-être essayer de conserver cette magnifique matière. Le lendemain elle emprunta le ciseau à couture de sa mère et, alors qu’elle avait presque fini son livre préféré essaya, avec prudence et frayeur, de couper une mèche de la chevelure. Elle avait très peur que celle ci ne disparaisse ou alors ne se ternisse ou ne rabougrisse. Mais non, la mèche restait dans ses mains, douce, soyeuse et moirée. Enhardie, elle coupa toute la chevelure qui demeura aussi belle et brillante. Le miracle était renouvelable à volonté, en refermant le livre et en le lisant à nouveau, à condition d’éprouver du plaisir, une nouvelle chevelure se formait.

En expliquant cela à ses parents le soir même, elle leur dit :

« Je ne dois pas être la seule à avoir ce don. Si vous m’y autorisez je m’en vais partir sur les routes de notre royaume chercher celles et ceux qui peuvent m’accompagner dans la fabrication de ce trésor. Et ensemble nous trouverons un moyen d’en faire quelque chose d’utile. »

Les parents furent impressionnés par le don de leur fille et lui donnèrent la permission de se mettre en route. Elle partit ainsi et, sur chaque place des différents villages du royaume, elle s’arrêtait et se mettait à lire un livre qu’elle aimait. Les habitants, émerveillés, observaient de loin cette étrange sorte de fileuse, qui fabriquait ce qui semblait être de la soie multicolore, en restant immobile devant un livre. De temps un temps, un homme ou une femme, un enfant parfois, s’approchait, tiraillé par la curiosité. La jeune fille s’arrêtait de lire et lui proposait de prendre le relai. Et c’est ainsi qu’elle découvrit plusieurs autres personnes possédant le même don qu’elle, mais pas forcément pour les mêmes livres.

Ensemble, ils fabriquèrent une grande quantité de matière et c’est un des enfants qui, posant la main sur une mèche particulièrement colorée dit « Je vois un tissus pour un cerf volant » et leur donna l’idée de tisser. Ils découvrirent qu’en posant la main et en se concentrant, ils voyaient à quoi et à qui cette chevelure était destinée. Ils fabriquèrent ainsi des vêtements, des coussins, des draps et toutes sortes d’autres choses. Et tous ces objets, lorsqu’ils étaient en la possession de la bonne personne, s’illuminaient et transmettaient la joie et le plaisir.

Ce fut la jeune femme qui, quelques années plus tard, alors qu’elle était enceinte, fabriqua le premier jouet pour enfant en chevelure de plaisir. Certains racontent que ce fut le premier chaudoudou du royaume, mais chut… ceci est une autre histoire.

 

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